Tuesday, September 15, 2009

Quand j'observe le vide dans leurs yeux, je les envie

Silence. Thomas marche dans la rue. Personne. Les maisons, pourtant habités, ne laissent filtrer aucune activité par les vitres. De l'herbe aux toiles d'araignées, tout semble être effacé pour que le doute sur la présence des locataires ne puisse s'insinuer. Le bruit par contre est absent. John Cage dit que le bruit n'existe pas. 4'33. Le vide par contre est bien là et n'abandonne pas. Chaque pas résonne dans une tête rempli par le vide matinale du corps encore plongé dans la douceur des draps. La sensation subsiste et le rêve fait encore corps avec la réalité du lit. La quiétude se mêle au sentiment amer causé par la frustration. Frustré d'être ailleurs. Frustré d'être là. La petite frustration qui fait grincer les dents et force les regards vers l'horizon pour ne pas croiser celui de ses congénères. Tout le monde pense la même chose mais personne ne dit rien. Tout le monde ne pense à rien et dit tout sur absolument rien. Le matin.

Le raclement des feuilles sur le sol et une porte qui claque. Des pas qui se rapprochent et se perdent dans le refrain d'une matinée qui n'a rien d'exceptionnel. Les pas se rapproche mais toujours rien. Pour Thomas, la musique est la seule chose qui le préoccupe même si il ne porte pas d'écouteurs. Pas besoin de se refermer dedans pour qu'elle continue de vibrer dans les fibres de sa chaire. Même son tee shirt continuent d'en ressentir les effets. Un riff qui tourne inlassablement, juste quelque note pour convenir à la marche vers le train. Les minutes qui s'écoulent et la musique. Les seuls préoccupations de Thomas. Le choc brutal rompt l'équilibre. Les épaules qui se bousculent. Les regards qui se croisent enfin. L'agacement causé par la contrariété. Pourquoi tu te trouves là ? Pourquoi sur mon chemin ? Pourquoi aujourd'hui ? Tout a un sens quand on veut bien lui en donner alors qu'il n'y en a pas. On devrait effacer, prendre un peu de recul sur le moment et regarder ailleurs. Comme tout le monde. Vers autre chose. Sauf que le regard que l'on croise et que l'on sait diriger vers soit, on le renvoit. On le redonne au centuple. On se fait comprendre. On continue de marcher sur les pieds.

Verbalement

Physiquement

Je le pousse un peu et ce connard essaye de me repousser. Je lui fait comprendre que j'ai pas que ça a foutre et il me réponds que lui non plus. On ne se dit rien mais on s'énerve toujours.

Qui t'es ? Qu'est ce que tu veux ? Espèce de fils de pute.

Les syllabes qui apparaissent sur les lèvres sans même que l'on prononce. Un mot, un souffle et tout s'interprète dans le sens que l'on veut. Je vais te défoncer sale con.

Il recommence a pousser alors et je ne me laisse pas avoir. C'est de sa faute. Tout est de sa faute. Je suis dans mon droit. Dans mon seul droit. Prend ça dans ta gueule !

Le premier coup. Maladroit, je m'en veut tout de suite de l'avoir mal porté. Je vais en porter un autre alors qu'il essaye de faire pareille. Le contact de l'os contre ma machoire. Le premier coup de pied porté contre mon abdomen. L'envie désespéré de lui en faire voir. Je regarde son bras et je vois qu'il est plus gros que le mien. Je me laisse porter sur lui. Je tombe littérallement dessus avec tout ce que j'ai. Je le secoue. Le mec se barre. Je lui montre mes dents. L'animal. La rage. La colère stéréotypé du film de baston. Il se marre. J'entends plus rien. Je lui prend les cheveux et je tire pour que sa tête frappe contre le sol. Le mec a l'air de rien ressentir.

Je recommence.

Je prends la tête. Je lève les cheveux et je frappe. Je frappe. Je frappe. Je lui en colle une. Il réponds plus. Je continue. Je pense à tout ce qu'il pense et je pense à ce que je pense que je pourrais penser si je n'étais pas là. Je me dis que je devrais arrêter. Je me dis que j'aurais du passer par une autre rue. Faudrait peut être que j'arrête.

Quand la voiture s'arrête à mon niveau je sens enfin sa présence. Il y a quelque en bagnole derrière moi. Je suis accroupi sur le type et je tiens des cheveux entre mes doigts. Du sang sur les ongles. Je me sens blanc et sec. Lui aussi et tout blanc. Ca ressort bien avec tout le rouge qui coule de son crâne.

"C'est pas moi"

Je crie et je cours. Je fait croire que je pense à mon train. Je m'accroche à mon sac et je continue à courir en me disant que personne ne me dira rien. Je crois entendre mon nom mais je me dis que c'est surement une erreur. Personne ne me connait. Personne ne m'a reconnu. J'étais de dos. Je suis parti trop vite. Mais est ce quelqu'un était derrière sa vitre? Est ce que les flics vont venir. Je m'appelle Thomas. Je m'appelle Thomas et c'était un accident. Je ralentis car je m'essouffle. Je n'ai pas tenu bien longtemps mais j'ai tout de même l'impression que tout cela s'est passé il y a une heure. L'impression de plus être soi même et d'avoir laissé un bout de quelque chose ailleurs. Le premier regard que je crois est celui d'un viel homme. Il a l'air encore plus perdu dans son habitude que je ne le suis. Il a un bérêt sur la tête, signe d'une époque que plus personne autour de lui ne connait. Signe d'un pays différent. On ne vit pas dans le même monde. Je le regarde avec un peu de mépris, comme si je me sentais fort. Je me sens faible. Je continue a marcher. Tout mon corps pense à avancer vers autre chose. Les membres agissent comme les organes quand une maladie les atteint. Ils tentent de purger ce qui ne va pas. Tout ce qui peut clocher doit être éliminer. A ce moment là c'est la peur qui a besoin de disparaitre. Il faut donc en venir aux habitudes. S'y accrocher comme un suicidé dont les ongles raclent la surface du coin de la fenêtre. Le seul bout ferme qui subsiste contre le vide. On regrette alors tout et moi aussi je regrette. Oh bon dieu je regrette, je regrette, je regrette. Je ne veux pas y penser.

Une larme coule sur mon visage et je l'essuie le plus vite possible. Rester discret. Pas se faire remarquer. Faire comme d'habitude. Les cadres supérieurs, les secrétaires, les ouvriers. Les regards perdus et les regards agassés. Ils sont tout autour de moi dans la fraicheur du matin et ils pensent à autre chose. Moi je suis là et je me pense à eux. Seul dans la peur. A l'affut du moindre détail. Un flic ? Un cri? Un doigt pointé vers moi pour me demander de lacher mon arme. Mais quel arme, petit con ? Arrête de dire de la merde!

Je tremble. La porte du RER s'ouvre et je monte. Je trébuche. Mon pied tombe dans le creux entre le train et les rails. Je crie ! Des mains se presse alors contre moi. On me relève. On me tape dans le dos. On me sourit. Une dame finit par me demander

"Vous allez bien?"

Son sourire est éphémère mais il est salutaire. J'y vois un peu d'espoir. On me regarde. On me fait mine que je suis encore un être humain. Je n'ai pas encore tout perdu. J'entends alors la sirène de la police. J'essaye de ne pas y penser mais je vois les regards se tourner ... puis revenir vers le RER et oublier. Ils oublieront tous que je suis tombé! Ils en parleront à leurs amis comme d'une petite anecdote sans intérêt. Personne ne sait que je suis alors que je viens de tuer quelqu'un.

Je viens de tuer.

Le sourire a disparu et j'ai à peine eu le temps de dire "Oui". Le mensonge gigantesque pour faire disparaitre le petit moment d'émoi. L'anecdote du matin s'efface vite et tout le monde monte à bord. Le quotidien fait de nouveau loi et les regards sont de nouveau vide. Les livres, les ipods ou le mur d'en face, la fenêtre. Je prends place à coté de la fenêtre et je m'excuse auprès des quelque gens que j'oblige a bouger leurs jambes. La terrible obligation que chacun déteste car elle oblige a faire attention à qui nous entoure. Moi aussi je voudrais oublier. Tout oublier. Revenir dans ma quiétude quotidienne. Hier encore, je me souviens, je ne pensais à rien. J'étais vide. J'allais bien. Aujourd'hui tout les points d'interrogations qui m'habitent commence a prendre résidence et ne veulent plus partir.

Je viens de mettre fin à une vie. A une vie pour un rien. Un rien.
Je viens de mettre fin à une vie et a la mienne aussi.